Révolution française : souveraineté populaire et commis de confiance

Révolution française : souveraineté populaire et commis de confiance

Jeudi 16 février 2017, par Florence Gauthier

Suite à l’émission du 18 novembre dernier animée par Louis Saisi et Michel Ezran sur Radio Aligre, l’historienne Florence Gauthier répond aux questions posées par Laurent Garcia, notamment sur les commis de confiance et les partis politiques.


J’ai rapidement présenté l’institution du commis de confiance, qui correspond au mode d’élection des représentants, depuis le Moyen-âge. Cette institution vient des Romains, mais ils en faisaient un usage différent. Le Moyen-âge a donc repris et repensé la pratique du commis de confiance pour en faire une institution électorale.

Le Moyen-âge inventait-là une forme très intéressante, parce qu’elle renvoie à l’idée de souveraineté. Dans le cadre des assemblées générales des habitants des communautés villageoises, des communes, des corps de métier, etc…, le commis est chargé d’une mission et doit rendre des comptes à ses commettants, sinon il est destitué et remplacé : cela signifie que les mandataires sont reconnus comme souverains dans ce mode de chargé de mission.

D’où l’intérêt de rappeler l’existence de cette institution, puisque nos systèmes électoraux ne la connaissent plus ! Aujourd’hui, ce sont les élus qui s’imposent comme souverains aux électeurs. Le résultat des élections actuelles est encore une manifestation de cette nouvelle hiérarchie.

Il faut bien voir que, dans le système actuel, le fonctionnement des partis politiques a pris la place de l’assemblée générale médiévale et l’a ainsi confisquée aux citoyens : ce point est fondamental à comprendre. De peuple souverain, il n’y a plus que le nom dans le texte de la Constitution, et un peuple vidé de ses pouvoirs. Voilà ce qu’il me semblait important à clarifier.

Pour être plus précis, le système des partis, avec leur chefferie au sommet, sur le modèle de toute hiérarchie (qu’elle soit papale, monarchique ou aristocratique), n’est pas en cause. Tout parti politique impose nécessairement ses objectifs et ne recrute que les personnes qui sont d’accord avec ceux-ci. Qu’en interne, le débat soit la norme est sans aucun doute préférable, mais un parti ne doit pas être non plus un moulin ouvert à tous les vents (il y a de beaux exemples en ce moment…). Mais là où le système des partis diffère complètement de ce qu’il se passait pendant la Révolution française, c’est bien sur la possibilité, qui s’est instituée pour eux, de prendre la place de l’assemblée générale des citoyens et de transformer les électeurs en machine à élire des majorités en nombre de places dans les instances élues. C’est à ce moment-là que la culture politique et les pratiques populaires ont disparu : on peut le dater en France de l’échec et de la disparition, corps et esprit, de la Commune de Paris de 1871.

En 1789, l’institution du commis de confiance était généralement pratiquée et tous les députés aux États généraux étaient des commis de confiance. Comprenons bien : la noblesse ou le clergé avaient aussi des commis de confiance, chargés de missions conformes à ce que demandaient leurs commettants. Le commis de confiance n’est pas, en soi, une forme démocratique, c’est parce que le principe de la souveraineté populaire est reconnu que cette institution peut prendre un caractère démocratique.
Cette institution existe dans nos sociétés actuelles, mais n’est plus appliquée aux formes électorales. On trouve dans les sociétés, comme les banques par exemple, des commis de confiance chargés de telle ou telle mission et étroitement contrôlés et destitués si nécessaire par leurs commettants.

Passons maintenant aux élections à 2 degrés pour le Tiers-état à ces États généraux de 1789. Il y avait un 1er degré, qui est celui des assemblées générales de villages, communes, corps de métier etc… Il y en a eu des dizaines de milliers ! Ces a.g. ont envoyé leurs commis de confiance, chargés des doléances, à la réunion du second degré : au siège des justices royales appelées alors bailliage ou sénéchaussée, situés dans les principales villes. Là, les doléances de chaque province ont été fondues en un seul cahier et les députés, qui allaient à Versailles, choisis parmi l’ensemble des députés du degré 1. Ainsi, tous les députés qui se rendirent à Versailles étaient des commis de confiance du degré 1, qui ont été choisis, à nouveau, au degré 2 : tous des commis de confiance donc !

Par ailleurs, pour le Tiers état, on sait qu’un nombre important de juristes se sont retrouvés commis de confiance. L’explication est la suivante : un commis de confiance, comme son nom l’indique, doit être capable de mener à bien sa mission de défense des doléances : il faut qu’il ait le courage de prendre la parole dans des assemblées - et SANS MICRO, ne l’oublions pas - il faut avoir du savoir-faire… et du coffre ! Écoutez Mirabeau, commis de confiance du Tiers-état d’Aix-en-Provence, qui, bien que noble, a refusé de siéger dans les a.g. de son ordre et est devenu commis de confiance du Tiers, eh bien, il en a du coffre, même s’il n’est pas avocat ! On l’entend encore, deux siècles après ! Lisez ses interventions, vous entendrez… avant qu’il ne trahisse la cause du peuple et retourne à celle du roi en été 1790, ce qui lui a coupé la parole : elle est devenue un chuchotement discret, c’est qu’il ne parlait plus en public…

Que le degré 1 des élections ait choisi des juristes ou des clercs, c’est compréhensible parce qu’à l’époque, à la différence de la nôtre, être commis de confiance était une charge, une responsabilité, et les travailleurs des villes et des campagnes n’avaient pas le temps ni les moyens de se rendre à ces réunions qu’étaient les États généraux, mais ils savaient que c’étaient eux, les commettants, qui pouvaient révoquer ce commis s’il trahissait sa mission ou s’il se révélait incapable de l’accomplir.

Dans nos systèmes par contre, être député d’un parti politique c’est recevoir les ordres de mission, non des électeurs, mais des hiérarchies du parti et, de plus, ce système offre la possibilité de faire carrière en s’assurant des revenus réguliers ! À l’époque, non ! Un commis de confiance était payé par ses commettants le temps de sa mission, soit un nombre très limité de mois.

Avec une représentation permanente, comme cela le devint pendant la Révolution, il fallait bien sûr adapter l’institution du commis de confiance et c’est ce qui fut proposé par Robespierre, dans son projet de constitution qu’il fit avec Saint-Just en avril 1793, et qui fut adopté par la Société des Amis de la Liberté et de l’Égalité séante aux Jacobins : Robespierre, grand défenseur des assemblées primaires communales, proposa d’instituer la révocation des élus de la manière suivante :

« À l’expiration de leurs fonctions, les membres de la législature et les agents de l’exécution, ou ministres, pourront être déférés au jugement solennel de leurs commettants. Le peuple prononcera seulement s’ils ont conservé ou perdu sa confiance. Le jugement qui déclarera qu’ils ont perdu sa confiance emportera l’incapacité de remplir aucune fonction publique. Le peuple ne décernera pas de peine plus forte et, si les mandataires sont coupables de quelques crimes particuliers et formels, il pourra les renvoyer au tribunal établi pour les punir. [1] »

Les fonctions publiques étaient renouvelées chaque année et le contrôle des électeurs suivait et était donc fréquent et régulier : il permettait de chasser les « mauvais » commis. On comprend l’intérêt d’une telle institution pour protéger la démocratie…
Je rappelle encore que la Révolution des 31 mai - 2 juin 1793 fut une application du droit du peuple à révoquer ses mandataires infidèles : une manifestation pénétra dans la Convention et réclama la révocation de 22 mandataires, considérés comme ayant trahi le peuple. Il s’agissait des 22 députés girondins qui avaient mené une politique calamiteuse et dangereuse en déclarant la guerre de conquête aux peuples voisins.
La question était d’instituer un contrôle des élus par les électeurs, pour rappeler que le peuple était bien le souverain, car la question centrale de la politique demeure toujours la même : qui prend la décision ? C’est le peuple souverain, répondait cette époque qui avait choisi la démocratie.

Et si c’est le peuple souverain, il doit alors en avoir les moyens institutionnels.

Existait-il des partis politiques pendant la Révolution française ? Oui, bien sûr, il y en a eu de deux sortes :
- Ceux qui refusaient le principe démocratique de souveraineté populaire et qui instituèrent une forme d’aristocratie des riches depuis septembre 1789 : ceux-là voulaient, et parvinrent, à supprimer les assemblées primaires communales, jusqu’à ce que la Révolution du 10 août 1792 renverse la Constitution de 1791 et fonde une République démocratique.
- Et les partis démocratiques qui respectaient la souveraineté populaire, comme le furent la Société de la liberté et de l’égalité siégeant aux Jacobins et la Société des droits de l’homme, dit Club des Cordeliers. Ces sociétés avaient leurs objectifs et recrutaient ceux qui les partageaient, et leurs réunions étaient publiques. Mais ils ne gênaient pas les assemblées primaires communales et leurs membres y participaient en tant que citoyen, dans la commune ou la section de commune où ils étaient domiciliés. Et ce n’était pas en tant que « parti » que certains d’entre eux pouvaient être élus, mais parce qu’ils étaient connus des citoyens qui les avaient vus agir.

En 1792-1794, les élus de ces sociétés étaient minoritaires à la Convention et c’était le débat sur des propositions précises qui permettait de dégager une majorité. Ces partis politiques ne rivalisaient pas avec les assemblées primaires communales et, au contraire, prirent leur défense.

D’où vient la méconnaissance de ces institutions ? Et pourquoi n’enseigne-t-on pas cette histoire à l’école ? Car enfin, la chose est bien connue des chercheurs et de nombreux ouvrages existent à ce sujet.

La connaissance est une chose et les préjugés d’une époque en sont une autre : le nom même de Moyen-âge, qui date du XIXe siècle, mérite une analyse historique critique que les historiens du Moyen-âge ont entreprise depuis longtemps déjà, mais qui n’atteint pas le grand public.

Pour résumer, je dirai que le mépris du peuple, paysan en particulier, et des pratiques démocratiques des communautés villageoises comme des corps de métiers urbains, a été fortement développé et s’est finalement imposé comme préjugé d’une époque, celle de la victoire d’un « progrès » attaché au formes capitalistes, impérialistes et à l’urbanisation. Le Moyen-âge, qui ne portait pas ce nom jusque-là, est devenu, récemment, au début du XIXe siècle, la période des siècles barbares, de l’obscurantisme religieux et de l’absence de lois : par simple préjugé. Mais lisez le grand historien du Moyen-âge, Marc Bloch, vous y verrez tout autre chose… Regardez aussi Rodney Hilton qui poursuit le travail de Bloch et raconte la longue résistance des paysans à la seigneurie asservissante, en Angleterre et en Italie du Nord, et puis aussi, (c’est en anglais non encore traduit) Bryan Tierney qui a retrouvé l’origine de l’idée de droits naturels de l’humanité tout entière… apparue au Moyen-âge !

Et là, nous touchons le problème de la diffusion de la connaissance et des résultats de la recherche dans notre société : une affaire éminemment politique, comme on l’aperçoit.

Si les élections aux États généraux vous intéressent, pour en connaître davantage, reportez-vous à l’excellent : Pierre GOUBERT, 1789, Les Français ont la parole, Collection Archives (en poche), ce sont des doléances des cahiers du premier degré du Tiers-état, choisies et commentées par un grand historien. Ou si vous voulez pousser la curiosité, allez voir Les Archives parlementaires, les premiers volumes, qui détailleront la chose, sur internet… Et si les pratiques démocratiques populaires, à Paris de 1792 à 1794, retiennent votre attention, lisez Albert SOBOUL, Les Sans-culottes parisiens en l’an II, Seuil, 1968.

Florence GAUTHIER

Article publié sur Agoravox le 1er février 2016 : http://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/revolution-francaise-souverainete-177084

Légende de l’image

Jean-Baptiste Lesueur, Motion au Jardin du Palais Royal, gouache, vers1789/1794, Musée Carnavalet.