Petit aveuglement illustré

Petit aveuglement illustré

Mardi 6 janvier 2015, par Anne-Cécile Robert

La période que nous vivons restera sans doute dans l’histoire comme un exemple typique de l’aveuglement forcené dont peut faire preuve une classe dirigeante coupée de la réalité.

En voici deux illustrations tirées de l’actualité institutionnelles : d’une part, l’opinion exprimée par Bruno Retailleau, président du groupe UMP au Sénat, sur la crise politique actuelle (texte publié le 12 novembre 2014), d’autre part les formules révélatrices qui émaillent les vœux du président François Hollande (31 décembre 2014).

Justifiant son boycott du Groupe de travail créé par Claude Bartolone sur la réformes des institutions, M. Retailleau, étoile montante de la droite sénatoriale, écrit ces énormités typiques de la droite conservatrice : « Les institutions sont aujourd’hui la seule planche de salut à laquelle François Hollande peut encore s’accrocher dans son naufrage. Déstabiliser nos institutions, ce serait déstabiliser la République au moment où ses fondations sont fragilisées par la crise et la faiblesse de l’exécutif. » « Planche de salut » les institutions ? On se demande bien de quoi : d’un régime à la dérive ? M. Retailleau sous-entend qu’il n’y a plus que les institutions qui tiennent debout dans notre pays. Mais ne sont-elles pas plutôt un théâtre d’ombres où se meut, pantin pathétique, une classe politique sans projet ni volonté ? Ne sont-elles pas l’outil d’une mort programmée de la démocratie ? Le sénateur UMP poursuit sa diatribe par cet aveu déconcertant : participer à une réforme des institutions « contribuerait à renforcer dans l’opinion le sentiment que la classe politique est totalement déconnectée des préoccupations des Français. » Bien sûr, le comité Bartolone est avant tout destiné à donner l’impression que le problème posé par notre Constitution est pris en compte. A donner l’impression mais à ne rien changer au fond. A donner l’impression mais à ne surtout pas faire appel au peuple par l’élection d’une Assemblée constituante. Mais ce n’est pas le souci de M. Retailleau qui veut surtout combattre les « sentiments », pour lui forcément erronés, des électeurs. Pour lui, la déconnection de la classe politique d’avec les préoccupations des Français n’est qu’un « sentiment », pas une réalité.

Le Président de la République a fourni une confirmation de cette déconnection dans ses vœux au Français prononcés le 31 décembre. Il persévère dans l’erreur avec le soutien sans failles de ses conseillers en communication, pourtant bien connus pour leurs flops retentissants comme les huées essuyées à Oyonax ou l’image du chef de l’Etat sur l’Ile de Sein le 18 septembre 2014, trempé jusqu’aux os (il n’y a pas de parapluie dans les écoles de communication ?). Pour les vœux, les conseillers ont choisi d’installer M. Hollande dans le décor de son bureau plutôt que devant une image de la cour de l’Elysée comme en 2013. Il s’agit de dresser le portrait d’un président qui travaille. Quelqu’un devrait dire aux super communicants que les électeurs se moquent bien de ce genre d’astuces ; ils ont bien d’autres soucis. Pas les journalistes malheureusement qui ont abondamment commenté la dernière trouvaille des conseillers du chef de l’Etat.
Le texte des vœux confirme l’obstination absurde de M. Hollande à se vautrer dans le refus de la réalité. Quelques extraits révélateurs : « Je crois à la persévérance, à la constance, au travail dans la durée. L’année 2014 fut une année rude, jalonnée d’épreuves de toutes sortes. J’ai tenu bon et suivi fermement le cap que j’avais fixé. (…) Mes chers compatriotes, la France avancera donc l’année prochaine, dans tous les domaines et pour tous. C’est le combat que j’ai engagé. Ce combat, je le mènerai jusqu’au bout (...)  » La dernière phrase confirme le caractère autoritaire de nos institutions : rien ne peut en effet obliger François Hollande à changer de politique s’il ne le décide pas lui-même souverainement. Il peut écarter les mauvais chiffres du chômage et les indicateurs alarmants quant à l’état de la zone euro, tel un nouveau Louis XVI enfermé dans le décor rassurant du château Versailles. Il peut rester sourd aux manifestations, même les plus massives ; il peut ignorer les multiples expressions de mécontentement des électeurs qui se sentent floués par les promesses non tenues ; il peut se moquer des parlementaires qui n’ont donné à la déclaration de politique générale de son premier ministre qu’une majorité relative. Même si cela veut dire que les députés qui n’ont pas apporté leur soutien à Manuel Valls sont plus nombreux que ceux qui l’approuvent. On peut parier sans risque que le « sentiment » d’une classe politique déconnectée de leurs préoccupations va encore progresser chez les Français.