Réaction à l'émission de Radio Aligre sur le droit du travail

Réaction à l’émission de Radio Aligre sur le droit du travail

Dimanche 28 décembre 2014, par Yves Montenay

Suite à la publication de l’émission de Radio Aligre sur le droit du travail, Yves Montenay qui fut responsable de plusieurs PME nous envoie la réaction ci-dessous qui prête évidemment à débat.


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Tout d’abord je me présente : j’ai passé 27 ans dans diverses entreprises, dans des postes extrêmement variés dont celui de DRH. J’ai toujours été soit le propriétaire, soit proche du propriétaire de l’entreprise. Il s’agissait de TPE ou de PME, et même dans la plus grande d’entre elles, c’était en pratique une fédération d’entreprises autonomes, la DRH n’ayant qu’une fonction d’information et de dialogue.

J’interviens après cette émission pour deux raisons :

- d’abord parce que je trouve sympathique l’objet de « l’association pour une constituante » et notamment sa remarque « trouvez-vous que les élus (et je rajouterais les « décideurs en général ») sont réellement représentatifs des citoyens ? »

- ensuite parce que le droit du travail concerne autant les entreprises que les salariés.

D’abord un rappel de mon expérience :

J’ai toujours veillé à ce qu’il y ait des élus du personnel, car je pense que c’est utile à tout le monde : tant les salariés que leurs dirigeants sont obligés de sortir d’une sorte de vase clos où l’on finit par perdre le sens des réalités. L’absence de dialogue est fatale à de nombreuses entreprises, soit parce que leurs dirigeants ne sont pas au courant des problèmes de leur personnel, soit parce que des salariés coulent l’entreprise par ignorance de ses problèmes. C’est en gros lié à la taille de l’entreprise : jusque vers une douzaine de personnes, tout le monde se parle tous les jours et le dialogue se fait informellement.

Que le dialogue soit informel ou qu’il passe par des membres du personnel élus, les PME sont très loin tant du Medef que des syndicats de salariés. Ils sont considérés comme loin des problèmes réels et concrets, tant côté patron que côté employés. On ne se sent pas donc représenté par ceux qui parlent en notre nom. Je n’ai jamais eu de contact avec la hiérarchie du Medef censée me représenter, et les délégués syndicaux agaçaient considérablement les élus du personnel. Je rappelle que ces délégués ne sont pas élus, mais nommés par les syndicats, qui sont des organisations extérieures à l’entreprise, mais à qui la loi donne le droit d’intervenir et de négocier dans des domaines importants. Bref, syndicats et salariés ne sont pas synonymes, Medef et entreprise pas davantage.

Maintenant j’en viens à l’émission : ce qui me frappe, c’est la représentation sous-jacente par les deux intervenants de la CGT d’une entreprise qui serait l’ennemie des salariés (en « organisant la précarité » par exemple). Or, toujours dans la vingtaine d’entreprises où j’ai eu des responsabilités ou avec lesquelles j’ai travaillé de près, j’ai au contraire constaté une solidarité de tous les niveaux. Cela pour que l’entreprise dure, et si possible prospère, ce qui se traduit par des embauches et des primes, mais là, on est déjà dans des cas exceptionnellement favorables. Donc le responsable cherche à sécuriser et à motiver ses employés.

Le fait qu’il y ait beaucoup de CDD avant de passer au CDI vient de la crainte des complications en cas d’erreur de recrutement ou de diminution d’activité. Il est bien évident qu’on ne met pas fin à une embauche par caprice, mais parce qu’il y a un problème réel, même si ce problème est difficile à prouver devant les prud’hommes : il ne faut pas oublier qu’un patron de PME n’est pas un juriste, et que son obsession est de trouver l’argent pour payer la TVA chaque mois, puis les salaires, puis les charges sociales et, en dernier, les fournisseurs. Il est donc très loin des complications du code du travail, contrairement à la grande entreprise qui a une DRH qualifiée et qui est active au Medef. Il me paraît évident que la complication du droit du travail vienne de son élaboration par des permanents des « partenaires sociaux » interagissant avec des élus nationaux issus de l’administration, qui, de considérations abstraites en compromis finissent par construire ces textes si compliqués qui suscitent une crainte de l’embauche chez les patrons de PME. Or ce sont ces derniers qui créent des emplois, des grandes entreprises les gérant, en général à la baisse.

À propos des charges sociales, je comprends bien le raisonnement tenu par les intervenants syndicaux de cette émission, disant que ce n’est pas un coût, mais ce raisonnement est abstrait. Car, concrètement, le chef d’entreprise doit tous les mois se démener pour les payer, et est passible de lourdes amendes s’il ne peut pas le faire. Donc « coût » ou pas, ça ne change rien à sa préoccupation permanente.

Je terminerai par une remarque économique très générale : nous sommes tous des consommateurs et nous sommes tous attachés à la liberté de choisir ce que nous voulons acheter. Nous avons par exemple choisi d’avoir des téléphones portables, et de consommer moins d’autre chose. Le résultat est que l’entreprise qui produit cet « autre chose » perd ses clients et est menacée de fermeture. Donc chacun d’entre nous détruit tous les jours des emplois au nom de sa liberté personnelle. Certes d’autres emplois se créent, mais pas forcément au même endroit, pas forcément dans le même pays et pour des employés ayant des formations et des spécialités différentes, donc ça ne résout pas le problème de ceux dont l’emploi est menacé. Cette précarité là ne vient pas des entreprises, au contraire elle les menace et il est logique qu’elles cherchent la flexibilité pour s’en défendre.