Retour du Conseil unique d'Alsace - Crise de légitimité et responsabilité des élus

Retour du Conseil unique d’Alsace - Crise de légitimité et responsabilité des élus

Mardi 30 septembre 2014, par Mathieu Lavarenne

Nous avons évoqué largement le référendum en Alsace et la manière dont l’oligarchie nationale autant que Bruxelloise a décidé de ne pas en tenir compte. Mathieu Lavarenne, Président du Cercle Républicain 68, donne ci-dessous son analyse de la situation et fait le point sur les attitudes antidémocratiques.

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Vers une crise de légitimité majeure...

Coups d’Etat de la Troïka en Europe (Italie, Grèce, Chypre...), le retour décomplexé du Conseil d’Alsace sur la place publique, par les mêmes élus qui avaient porté le projet en 2013, montre une nouvelle fois combien nos élites semblent avoir perdu le sens de la démocratie et de la République. D’autant plus que la suppression de la condition de referendum pour permettre la fusion au forceps de collectivités (départements et régions) ou la modification de limites régionales est elle aussi déjà adoptée en première lecture par nos parlementaires. Que l’on ait voté pour ou contre en Alsace lors du referendum du 7 avril 2013, cela doit choquer. Et cela choquera. Les nuages continuent de s’amonceler à l’horizon, et il y a fort à craindre pour l’avenir. Elus, élues, le tonnerre gronde. Que ferez-vous ? Que ferons-nous ?

Faut-il reprendre le processus en Alsace ? « Je ne le pense pas », affirmait le président du conseil régional, Philippe Richert, à Strasbourg le 30 août 2013 (propos rapportés par Jacques Fortier dans les Dernières Nouvelles d’Alsace), « l’électorat s’est prononcé ». Mais l’affirmation suivante, bouche en cœur, dévoilait les intentions (à peine) masquées : si la reprise du processus doit toutefois se faire, ce sera « dans une nouvelle période, avec de nouveaux élus ». Il fallait alors comprendre après les élections départementales et régionales de 2015.

Un an après, dans l’édito du magazine de la Région Alsace de septembre 2014, le discours s’est emballé, prenant prétexte de la proposition socialiste d’une grande région Alsace-Lorraine-Champagne Ardenne : "L’heure est venue de mettre en place le Conseil d’Alsace, c’est-à-dire la collectivité nouvelle qui réunira le Conseil régional et les deux Conseils généraux du Bas-Rhin et du Haut-Rhin. La proposition avait été soumise à referendum avec la fortune que l’on sait. Aujourd’hui, si l’on veut assurer à l’Alsace une réalité et un avenir, c’est la seule voie qui s’offre à nous." Et d’appeler aussi à la manifestation le 11 octobre prochain à Strasbourg pour le Conseil Unique d’Alsace et donc contre le vote populaire. Mais pour qui vous prenez-vous, M. Richert ? Il est vrai que dès le soir même du referendum "raté", vous annonciez à la télévision, avec un culot incroyable, que vous auriez préféré pouvoir ne pas tenir compte du Non des Haut-rhinois.

Pourquoi nous laisserions-nous impressionner par un tel chantage binaire et simpliste : ce serait soi-disant le Conseil Unique pour "sauver" l’Alsace (le Conseil Régional n’existe cela dit que depuis 1982...) ou bien sa "mort" avec la grande région Alsace-Lorraire-Champagne Ardenne... qui n’est d’ailleurs toujours pas définitivement votée (et qui, soit dit en passant, resterait deux fois moins peuplée que le Bade-Würtemberg voisin). Et l’on peut même se demander si cette proposition, qui va certainement avorter tellement elle n’est pas réaliste, n’a pas été pensée à cet usage : un épouvantail conçu pour rabattre les citoyens égarés vers le droit chemin du Conseil d’Alsace. A moins que ce ne soit une façon de faire avaler la pilule de l’Alsace-Lorraine, comme pis-aller, dans le bricolage institutionnel actuel.

A noter que l’ancien ministre de la réforme des collectivités confirme aussi qu’au-delà de la suppression des départements, il souhaite l’étiolement des communes, ce que l’on avait déjà relevé dans le "débat" de 2013 : les "deux niveaux clefs" seraient "les régions puis les intercommunalités et notamment les agglomérations et les métropoles. La proximité de demain, la proximité efficace, s’exprimera à ce niveau !". On attend aussi de comprendre comment s’articulera la future eurométropole strasbourgeoise avec les autres entités, quelles qu’elles soient. La proximité revendiquée prend une tournure bien complexe.

A ces propos du président du Conseil d’Alsace s’ajoutent ceux de dix-huit parlementaires alsaciens, mais aussi de conseillers généraux et régionaux qui vont dans le même sens : le viol du suffrage populaire, avant même les prochaines élections territoriales. Entre 2005 et 2007, pour le Traité de Lisbonne, les présidentielles avaient au moins servi d’alibi. Pour des représentants élus, qui n’ont pas su convaincre leurs administrés en avril 2013, c’est particulièrement fort en café.

Violence symbolique et politique

Car c’est là un geste politique d’une violence symbolique extrêmement forte, qui restera profondément inscrit dans la mémoire collective, et qui finira, hélas collectivement, par se payer cher. D’autant plus que ce n’est pas la première fois et que, en contre-point du divorce grandissant entre le peuple et ses élites, ces dernières (qui étaient autrefois bien plus représentatives des classes populaires qu’elles ne le sont aujourd’hui que l’ascenseur social et républicain s’est enrayé) sont dorénavant décomplexées devant ce que nous pouvons appeler comme une banalisation des "coups d’Etat" pseudo-démocratiques et "anti-peuple".

- Ce fut le cas du Traité de Lisbonne en 2007, dont l’objectif fut de gommer le "non" français du 29 mai 2005, à propos du TCE (Traité Constitutionnel Européen). Il s’agissait alors de "sauver" l’Europe de l’apocalypse... Le désamour populaire de la politique a grimpé en flèche depuis cette date, tous partis confondus, hors contestataires, notamment le FN. L’onde de ce choc n’a pas fini de vibrer.

- Ce fut récemment le cas en Grèce, à Chypre, ou encore en Italie, où la Troïka (FMI - Banque Centrale Européenne et Commission européenne) a grossièrement imposé ses vues et ses hommes contre les Peuples. Là aussi, les petits ruisseaux des conséquences politiques de ces comportements brutaux ne se sont pas encore tous réunis dans le lit du grand fleuve de l’Histoire.

- Ce sera encore le cas avec la suppression de la condition de referendum pour les fusions de collectivités et ce retour prôné du Conseil d’Alsace, visant explicitement à "réparer" le vote négatif des Haut-rhinois qui ont refusé à 55% la fusion des trois collectivités alsaciennes lors du referendum du 7 avril 2013 (et certains souhaitaient comme "exemplaire" pour le reste de la France). Avec une première tentative, sans complexe, à peine trois mois plus tard, en pleine torpeur de l’été 2013. On reste encore estomaqué par un tel aplomb. Mais là encore, cela se paiera nécessairement. En attendant, cela tournera encore davantage d’électeurs vers les partis contestataires ou l’abstention.

Il faut être bien naïf, prétentieux et arrogant pour miser sur "l’oubli des gens". Il faudrait être totalement ignorant de ce qu’est un Peuple, ainsi que du fonctionnement démocratique pour croire que de tels actes ne seraient qu’un peu difficiles à avaler sur le coup mais indolores sur le long terme. Car un Peuple, ce n’est pas un poisson rouge qui oublierait à quoi il vient de penser à chaque tour de bocal. Certes, dans les médias actuels, une information pousse l’autre. Certes les détails du quotidien s’effacent avec le temps qui passe. Mais les faits sont têtus.

De même qu’un Etat ne se gère PAS comme une famille, ni comme une entreprise (sauf à se priver volontairement de l’outil monétaire... mais c’est bien là notre problème), la mémoire populaire ne fonctionne PAS comme la mémoire d’un individu : même si nous pouvons l’oublier, momentanément et/ou individuellement, une décision politique d’une telle violence laisse toujours des traces et provoque irrémédiablement un "traumatisme" politique dans l’insconscient collectif (et dans les archives des blogs et des médias). Et un traumatisme, en politique comme ailleurs, cela s’exprime toujours par des symptômes, névrotiques ou psychotiques. Sur le plan collectif, le résultat est imprévisible. Et il y a de quoi s’inquiéter pour l’avenir. Vraiment.

Il ne faut pas jouer avec les Institutions. Celles-ci ont besoin d’être pérennes, stables et solides, sinon, au-delà des inéluctables déséquilibres dans l’aménagement du territoire, c’est tout l’édifice politique qui tremble et finit par s’effondrer, faute d’une légitimité symbolique suffisante. Ce que seul le referendum peut lui conférer, surtout en période de troubles et de méfiance avérée et grandissante des citoyens à l’égard de leurs représentants. Le général de Gaulle en savait quelque chose, lui qui avait consacré le referendum comme outil démocratique par excellence, l’arme du peuple contre l’oligarchie en place (ces "puissances d’Argent" qui profitent toujours du délitement des Institutions). Lui qui en avait aussi tiré toutes les conséquences en démissionnant en 1969 après l’échec du referendum qu’il avait proposé et défendu. Tout le monde n’a pas ce panache.

Message aux élus : légal, certes oui, mais illégitime...

Il faut donc en appeler (ou en rappeler) à votre responsabilité, Mesdames, Messieurs les élus, députés ou sénateurs, conseillers régionaux ou généraux, d’Alsace ou d’ailleurs. Certes, vous parviendrez peut-être à réaliser vos fins (ce "vous" est un "vous" non exhaustif, qui laisse bien entendu de la place à la dissidence, à la différence). Le projet d’une régionalisation de la France, au-delà de l’Alsace, finira possiblement par s’imposer. Mais en tripatouillant la démocratie, en jouant avec le feu institutionnel, du haut de votre docte et arrogante ignorance.

Certes le Traité de Lisbonne a été ratifié, avec le même contenu que le Traité Constitutionnel Européen (plus complexe, moins lisible, avec pour effet de perdre le lecteur citoyen). Certes une Collectivité Territoriale d’Alsace se fera peut-être en toute légalité (puisque vous aurez conformé la loi à vos lubies d’apprentis expérimentateurs). Il y aura cependant une IMMENSE différence. Une différence qui porte un nom : la légitimité. Bien plus cruelle, bien plus insaisissable que sa cousine la légalité.

Symboliquement, cela change tout. C’est même lourd de déstabilisation. Car il ne faut pas sous-estimer la puissance des symboles, surtout dans le champ du collectif. Vous aurez donc largement votre part de responsabilité dans les inévitables soubresauts et dérapages à venir. Et, dès maintenant, dans la démonétisation du politique, des élus et des lois. Quand on bafoue la démocratie et les principes républicains tout en s’en revendiquant, le tribunal de l’Histoire finit toujours par le faire payer, même si malheureusement, ce seront souvent d’autres (et beaucoup d’innocents) qui paieront les pots cassés de vos décisions politiques (si ce n’est de votre faiblesse moutonnière à ne pas vous dresser face aux dérives du moment). Cela ne fera qu’aggraver votre cas au regard de l’Histoire.

Un système verrouillé

Il est plus que l’heure du bilan. Il ne faut manifestement rien attendre de la stérile alternance des machines politiques de l’UMP et du PS, engoncées dans leurs idéologies moribondes, déconnectées de la réalité des effets des politiques qu’ils ont menées au nom de la supposée "mondialisation heureuse", de la nécessaire marche en avant de "l’Europe protectrice" et des "bienfaits de la décentralisation"(qui ressemble de plus en plus au retour des baronnets locaux).

On dira sans doute que c’est là le discours des extrêmes ou en tout cas qu’il ferait le jeu desdits extrêmes. Mais c’est précisément à cela que servent cesdits extrêmes : à neutraliser toute contestation en la diabolisant. Or, il n’y a pas de meilleurs alliés des extrêmes que les partis dits "de gouvernement", du fait justement des politiques qu’ils mènent, en se détournant de ce peuple qu’ils méprisent secrètement, et dont ils ont finalement peur.

Le problème - notre problème qui paralyse le débat politique aujourd’hui - c’est que c’est justement réciproque : les extrêmes sont eux aussi les meilleurs alliés des partis au pouvoir depuis des décennies. Par leurs propos outranciers, par leurs attitudes provocatrices, par leurs affiliations souvent nauséabondes, par leur arrière-fond anti-républicain (la lutte des classes d’un côté, l’enracinement ethnique ou "souchiens" de l’autre, tous deux ferments de guerre civile, potentiellement liberticides et dangeureux pour la puissance symbolique de la France à l’échelle de la planète), les extrêmes s’auto-neutralisent et deviennent les épouvantails grâce auxquels on caricature les véritables opposants au système actuel dont ils ne sont que l’une des expressions. Voilà l’impasse dans laquelle nous sommes. Et qui n’augure rien de bon. Car à force de contenir le désarroi, pire, la colère populaire sous pression, sous le couvercle verrouillé d’une cocotte-minute, l’heure de l’explosion approche. Pour le pire, et seulement parfois le meilleur.

Alors que faire ?

- Tout d’abord, continuer coûte que coûte à faire entendre des voix discordantes. A l’oral, à l’écrit. En ondes, en flux ou en papier. Au boulot, dans le métro, à vélo, au dodo. En prose, en poésie ou en musique... On ne pourra pas dire qu’on ne savait pas.

- Mais aussi faire le guet. Rester à l’affût de personnalités émergentes qui pourraient un jour renverser la table politicienne. Soeur Anne, ne vois-tu rien venir ?... Il y en a eu, il y en aura. La supposée fin de l’Histoire n’est qu’un miroir aux alouettes.

- Et surtout, du coup, ne pas céder à la tentation du rejet global et désabusé de la politique, sous peine d’étouffer dans l’œuf les bonnes volontés, les réelles tentatives de changement en plongeant tout le monde dans le même sac.

Albert Camus le disait dans La Peste : "il fallait lutter de telle ou telle façon et ne pas se mettre à genoux". Voilà notre responsabilité de citoyens. Choisir, toujours choisir. Car même ne pas choisir, c’est toujours un choix : celui de la résignation. Alors, choisissons. Au moins le moins pire. Au mieux, si possible, le mieux.

Sinon, nous ne vaudrons pas mieux que ceux qui nous dégoûtent.

* Mathieu Lavarenne

* Président du Cercle Républicain 68

* Premier adjoint au maire (indépendant) à Mooslargue

* Conseiller communautaire à la "comcom" de la Largue