Guerre. Pourquoi ?

Guerre. Pourquoi ?

Vendredi 15 août 2014, par Gabriel Galice, Tribune libre

Les conflits s’accompagnent partout et toujours d’intenses campagnes de désinformation. Depuis plus de 30 ans, l’Institut international de recherche pour la paix de Genève (Gipri) tente de dévoiler les ressorts cachés des conflits. Son président, Gabriel Galice, rend compte des principales crises du moment.

Mieux connaître les guerres pour mieux les combattre. Tel est le but de l’Institut international de recherches pour la paix (Gipri), fondé en 1980 à Genève. Les temps ont changé depuis. A l’affrontement global entre les Etats-Unis et l’Union soviétique ont succédé bien d’autres conflits. Mais les problèmes de fond sont restés. Interview du président de l’organisation, Gabriel Galice.

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Le Temps
 : La guerre qui a dominé le monde depuis le début du XXIe siècle est celle que les Etats-Unis ont lancée contre le terrorisme. Quel est son bilan après treize ans ?

Gabriel Galice : Cette guerre est allée de catastrophe en catastrophe, comme en témoigne le chaos actuel de l’Afghanistan et de l’Irak. De fait, elle a été lancée sur de mauvaises bases. Alors que la majorité des pirates de l’air du 11-Septembre étaient des Saoudiens, l’administration américaine de l’époque a décidé de s’en prendre à l’Afghanistan que la hiérarchie d’Al-Qaida utilisait comme terrain d’entraînement. Ce pays était évidemment plus facile à bombarder que des puits de pétrole ! Par la suite, au terme d’un exercice de communication extravagant, elle a attaqué l’Irak, qui n’avait strictement rien à voir avec ces attentats. De telles aberrations s’expliquent évidemment. Derrière cette guerre dite « au terrorisme » se cachait en réalité un projet économique et politique d’accès privilégié au pétrole et, plus globalement, de présence militaire permanente dans la région. Ce n’est pas un hasard si les pays visés après l’Afghanistan, à savoir l’Irak et la Syrie, possédaient des régimes nationalistes arabes, c’est-à-dire non alignés. Aujourd’hui, tout le monde doit être aligné.

– La dernière grave crise en date a éclaté en Ukraine. Quels ont été ses ressorts ?

– L’Ukraine a représenté un sommet de propagande côté occidental. Ce pays, enserré entre deux grandes puissances militaires, est par nature un Etat tampon, un glacis. Tel est son destin depuis des siècles. Son nom signifie d’ailleurs en ukrainien « marche frontière ». L’Union européenne a été assez maladroite pour le négliger et vouloir en faire un allié inconditionnel, en sous-estimant gravement la réaction de la Russie. La machine s’est désormais emballée et tout le monde se demande comment l’arrêter. C’est un peu tard. Si vous sautez par la fenêtre, vous devez vous attendre à avoir mal.

– La réaction de la Russie n’est-elle pas exagérée ?

– Les militaires russes ont tous lu Zbigniew Brzezinski, ancien conseiller à la sécurité nationale du président américain Jimmy Carter. Et comment n’en serait-il pas ainsi ? Ce stratège est l’un des plus brillants et des plus influents des Etats-Unis. Or, il explique très clairement le rôle de « tête de pont » que joue l’Union européenne comme instrument d’extension de l’influence américaine et la fonction de « pivot stratégique » de l’Ukraine en Eurasie. A la chute du mur de Berlin, Washington et Moscou ont passé un marché stipulant que les Etats-Unis ne devaient pas profiter de la situation pour étendre exagérément leur zone d’influence en direction de la Russie. Or, ils n’ont pas cessé depuis de gagner du terrain dans l’est de l’Europe. Et ils ont tenté d’en grignoter encore un peu à la faveur de la crise ukrainienne.

– Quel est le but de ces interventions américaines ?

– Il existe deux thèses. La première soutient que les Etats-Unis tentent ainsi de conserver leur suprématie politique et militaire, à défaut de détenir toujours la suprématie économique. La seconde veut qu’ils ont abandonné l’idée d’imposer au monde une pax americana, faute de moyens, et qu’ils ont remplacé cette ambition par une politique plus modeste de destruction des régimes qui leur sont opposés. Ce qui, de leur point de vue, n’est déjà pas si mal. Le problème est qu’il est plus facile d’abattre un régime que d’en installer un autre solidement. De fait, un désordre sanglant s’est installé sur tous leurs champs de bataille récents, de l’Irak à la Libye en passant par l’Afghanistan.

– Quelles différences existe-t-il entre les administrations Bush et Obama ?

– Le président actuel est plus porté au dialogue que son prédécesseur. Il a dit publiquement qu’il n’entendait pas renoncer à l’unilatéralisme mais qu’il préférait en principe le multilatéralisme. Et lorsqu’il juge une intervention militaire nécessaire, il ne tient pas absolument à monter en première ligne mais veut bien diriger la manœuvre depuis l’arrière, en apportant renseignement et logistique à des alliés montés au front. C’est ce qui s’est passé en Libye, un pays qui se situe en dehors de la zone d’influence des Etats-Unis. Et puis, alors que George Bush misait principalement sur le hard power, le pouvoir de la force, Barack Obama use du smart power, à savoir d’une combinaison de hard et de soft power en fonction des circonstances.

– Barack Obama considère que l’avenir du monde ne se joue plus dans la région atlantique mais dans l’espace pacifique. Pour cette raison, il a entamé un vaste transfert de forces militaires de l’Europe vers l’Asie. Comment interprétez-vous ce mouvement ? S’agit-il d’encercler la Chine pour la contenir ?

– Oui, exactement. Il est intéressant de constater qu’un des principaux partisans de cette stratégie est le Vietnam, malgré les bombardements américains intenses qu’il a subis il n’y a pas si longtemps. Les Vietnamiens rappellent à ceux qui s’en étonnent que leur pays a été colonisé cent ans par les Français mais mille ans par les Chinois… L’objectif officiel de la stratégie américaine est de garantir à l’avenir un équilibre des forces dans la région. Le problème est que le réarmement en cours s’intensifie à toute vitesse. Et que dans une telle configuration une posture défensive fait rapidement place à un mélange de défense et d’attaque.

– La vérité, dit-on, est la première victime de la guerre. Quelle méthode utilise le Gipri pour servir la vérité sur la guerre ?

– Nous nous efforçons de prendre de la distance, d’une part, et de confronter des points de vue différents, de l’autre. Dans ce but, contrairement à de nombreux instituts composés essentiellement de politologues, le Gipri réunit des personnes d’horizons très variés, dont des physiciens, des biologistes et un médecin. J’ai moi-même une formation mixte en sciences politiques et en économie. Nous avons en commun la profonde conviction que la pluralité des regards est particulièrement féconde.

– Quels conseils donnez-vous à tous ceux qu’intéresse la politique internationale ? Dans quel piège faut-il éviter de tomber ?

– Se méfier des mots « valeurs », « démocratie », « droits de l’homme », « occidentaux » lorsqu’ils sont utilisés pour légitimer une intervention militaire. Ils dissimulent systématiquement des intérêts. Il est simplement plus facile de convaincre une population de soutenir un effort de guerre en l’appelant à servir la morale qu’en l’invitant à soutenir le commerce.

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