La Laïcité inclusive est de retour.

La Laïcité inclusive est de retour.

Jeudi 30 janvier 2014, par Loïck Gourdon

Dans le cadre des débats que nous avons ouvert sur l’organisation des pouvoirs publics et, en particulier, sur la laïcité, Loïck Gourdon nous livre son analyse.

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Après la publication en ligne, à la veille de noël, du « Rapport sur l’intégration » établi par pas moins de 128 représentants d’associations, syndicalistes, fonctionnaires et chercheurs pour la plupart inconnus, - rapport non consenti entre Ayrault et Valls aux dires du Canard Enchaîné - voilà que ressurgit une idée iconoclaste à savoir : « la suppression des dispositions légales et réglementaires scolaires discriminatoires concernant notamment le voile » et quelques autres propositions hautement polémiques.
Ainsi, après les dernières déclinaisons de la laïcité : « positive » selon Sarkosy, « de reconnaissance » selon les penseurs du Vatican, voici le retour en force de la laïcité « inclusive » chère à Jean Baubérot, Grand Prêtre de la Laïcité à géométrie variable. Inclusif : « qui renferme quelque chose en soi » nous dit le Petit Robert. Quoi donc en l’occurrence ? Je vous laisse deviner. Selon l’ex titulaire de la Chaire de Laïcité au CNRS qui ne cache pas ses liens avec l’Eglise Réformée et son intérêt pour les théories des multi culturalistes canadiens favorables aux « accommodements raisonnables », la laïcité doit se réformer en fonction des évolutions du paysage religieux. Vue sous cet angle, la laïcité serait donc « une valeur principielle transcendant les options spirituelles qui échappe à la relativisation ». L’objectif de la laïcité inclusive vise donc à construire dans un espace public véritablement pluriel, une société qui évite de marginaliser ou d’enfermer les citoyens dans un moule unique, de les priver de leurs droits moraux ou religieux. Elle se fonde sur l’autonomie morale de chacun et l’égale liberté d’expression du religieux dans l’espace public sans que celle-ci ait une emprise sur ce dernier. Or, a - ton jamais vu une religion refuser de s’immiscer dans la vie d’une société, renoncer à imposer son dogme ?

Selon Samuel Bouchard, sénateur et théoricien de la laïcité à la sauce québecoise, l’objectif de la laïcité dite « inclusive » vise à l’interprétation des signes de la diversité religieuse dans les sociétés, à la résolution de situations de litiges arbitrés en fonction de critères fonctionnels ou contextuels. Par critères contextuels entendons les valeurs sociales fondamentales : « équité, égalité Homme femme, sécurité personnelle, non violence ». Notons au passage que la notion d’équité prime ici celle, o combien républicaine, d’égalité. Par critères contextuels il faut entendre : « les critères de décision empiriques survenant dans la vie quotidienne des institutions telles les demandes d’accommodements religieux provenant des familles ». Par exemple l’imposition des interdits alimentaires. En la matière, pas de hiérarchie déterminée, sinon « des arbitrages balisés conformes aux valeurs fondamentales ».

Voila pour la théorie, examinons à présent le projet de mise en application dans les rapports remis au Premier Ministre le 13 décembre 2013. Ainsi, à la page 7 du rapport Faire société dans une société diverse, signé par Ahmed Boubaker et Olivier Noël, au chapitre : « Les modalités de fabrication du commun, une approche « par le bas » garantie « par le haut » ( une approche subsidiaire ?), on peut lire : « … il doit exister une passerelle sémantique pour permettre le développement d’une identité collective, une identité nationale inclusive » Plus avant : « il s’agit ni plus, ni moins, d’ouvrir la perspective et l’espoir d’écrire une nouvelle page de l’identité sur la base de rapports sociaux plus égalitaires, de construire une nouvelle forme de l’universel et non de l’universel abstrait » , un « chauvinisme de l’universel » comme le dit le sociologue Abdelmalek Saayad. Il s’agit de construire - je cite- un cadre institutionnel en s’appuyant sur la trame d’expériences associatives et non seulement sur les rapports sociaux de classe et de race comme facteurs indissociables d’un même processus. Il s’agit clairement d’inverser la démarche d’émancipation républicaine par le haut, par l’idéal.

Pour faire société, il est préconisé de remettre à plat l’enseignement de l’histoire en mettant l’accent sur l’histoire des migrations ou l’enseignement d’une langue africaine. A l’évidence il n’appartient pas à l’Ecole de réécrire l’Histoire, celle-ci doit être produite par des historiens professionnels. Si la société française a accueilli sur son sol des vagues successives de migrants il n’en demeure pas vrai que comme le note justement Dominique Schnapper , notre nation ne repose pas sur une identité ethnique ou la tolérance des particularismes de chacun, mais sur des principes juridiques contenus dans les déclarations dont celles de 1789, 1793 et 1946, parmi lesquels le principe de laïcité, principe et non « valeur principielle ». Or que propose-t- on ? S’appuyant sur la maxime « désigner c’est assigner, c’est stigmatiser » ni plus ni moins de revoir de « revisiter tous les lexiques, tous les registres lexicaux utilisés par les institutions et les médias », de « revoir l’ensemble des circulaires et textes de loi qui comportent des mesures discriminatoires ou dont les effets induits sont des processus discriminatoires » et de recourir, si besoin est à la sanction.

Voici donc modélisé ce que j’appellerai le « communautarisme subsidiaire », mélange de communautarisme, de catho laïcité où prime la force civilisationnelle de l’hypocrisie. De quoi donner corps au fantasme du choc des civilisations cher à Samuel Huntington et à saper le pacte républicain. De deux choses l’une, soit ce rapport imprégné de multiculturalisme reflète la pensée profonde du Premier Ministre et celle de ses principaux collaborateurs auquel cas il met en évidence le décalage entre la majorité du peuple français et ses gouvernants, soit il s’agit plus prosaïquement d’une manœuvre cynique de conseillers de l’ombre, qui, en agitant le chiffon rouge communautariste, vise à conforter l’électorat du Front National, de sorte à provoquer un maximum de triangulaires. En tout état de cause nous considérons qu’il s’agit là d’une initiative dangereuse contraire aux principes fondateurs de la République. Espérons que ces rapports controversés rejoignent promptement les poubelles de l’Histoire.

Loïck GOURDON le 06 01 2014.