De quel droit un prétendu pouvoir économique nous imposerait-il ses décisions ?

De quel droit un prétendu pouvoir économique nous imposerait-il ses décisions ?

Dimanche 19 mai 2013, par Jean-Pierre Alliot

Dans le cadre des débats autour de la Constituante, Jean-Pierre Alliot fournit ci-dessous quelques éléments de réflexion.

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Le personnel politique en place a condamné le pays à être gouverné par les taux directeurs des banques centrales et par les stratégies des plus puissantes des entreprises privées. À quoi les élus servent-ils donc ? À qui ?

Hollande est allé au marché de Bruxelles, au lendemain du 1er Mai. Il a échangé la promesse d’un délai pour réduire le déficit de l’État contre la réalité de réformes structurelles. Or ces contre-réformes ont pour but de réduire le rôle protecteur de la puissance publique en France.

Au moins depuis le tournant de la rigueur de 1983, les gouvernements de la République se sont soumis de la sorte à de prétendus impératifs économiques qui s’imposeraient aux décisions politiques, celles qui sont prises au nom du peuple. Progressivement, le personnel politique qui dirige le pays en est arrivé à considérer qu’un pouvoir économique se confrontait légitimement aux trois pouvoirs, législatif, judiciaire et exécutif, par lesquels s’exerce la souveraineté du peuple. Accessoirement, un autre pouvoir interviendrait, celui des médias, déjà qualifié, par eux-mêmes en un jeu de mots qui a été vite pris au pied de la lettre, de « quatrième pouvoir ».
De proche en proche, des expressions comme « pouvoir informatique » voient le jour. Bientôt, nous aurons un « pouvoir automobile », un « pouvoir agricole », un « pouvoir épicier », etc. C’est la marque d’une confusion des notions que favorise les mélanges des genres pratiqués avec enthousiasme par les gouvernants, de Cahuzac à Guéant pour ne prendre que les exemples les plus récents et les plus spectaculaires. C’est aussi une méconnaissance généralisée des principes de la démocratie républicaine.

À l’époque où a été proclamée la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen, le « pouvoir économique » existait déjà. S’il n’a pas été intégré dans la liste des pouvoirs à séparer les uns des autres, ce n’est pas du fait de l’ignorance des concepteurs de la Déclaration. C’est que l’activité économique est justement réglée par la loi, qui est expression de la volonté populaire et a vocation à s’appliquer à tous, « soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse ». Les contrats de droit privé par lesquels s’organise la vie économique sont obligatoirement passés selon les prescriptions de la loi, qui interdit par exemple les contrats léonins. L’exécution des contrats est appréciée par des juges en cas, par exemple, de conflit entre les parties. L’exécutif, maître de la force publique, fait appliquer les jugements en tant que de besoin. Voilà, rapidement esquissé un simple rappel de la séparation des pouvoirs, qui devrait éviter d’employer le terme « pouvoir » inopinément. À moins que l’on considère comme légitime de soumettre un individu ou un groupe d’individus à son pouvoir.

L’intervention directe du peuple, l’assemblée constituante

Tout le monde aura compris qu’il n’est pas question ici d’exégèse historique ou de droit public ou de Code civil. Les approximations excessives dans les mots rendent compte du mépris de la réalité humaine que vit le pays, dont les dirigeants, en se soumettant de plus en plus à des intérêts privés, bafouent ouvertement la souveraineté populaire, l’intérêt général. L’exemple le plus frappant en est la ratification du Traité de Lisbonne, pourtant rejeté par le peuple en 2005, sous le nom qu’il avait alors de Traité Constitutionnel Européen.

L’outrage fait au peuple s’est poursuivi, logiquement, par l’introduction progressive dans tous les rouages de la société de la « concurrence libre et non faussée ». Le scandale est encore plus fort dans des domaines qui avaient jusqu’ici échappé aux appétits des intérêts privés et ne répondaient qu’à des besoins de service du public, comme la Poste, les chemins de fer, et tant d’autres encore. En première approximation, le « pouvoir économique » prend le pouvoir. En termes plus précis, les gouvernements ont confisqué le pouvoir, au détriment du Parlement, réduit à enregistrer, sous forme de prétendues lois, des décisions prises par les chefs d’État et de gouvernements réunis en Conseil européen.

Chacun voit les conséquences de ce mépris du peuple, dont la principale est l’installation d’un chômage de masse qui, de proche en proche, couplé avec la volonté des gouvernants de désagréger les services publics dus aux citoyens, plonge le pays dans la misère et l’insécurité généralisées.

Quand la crise de la société atteint ce degré, il ne peut être question d’autres solutions que globales ; il ne peut être question de confisquer plus longtemps le pouvoir du peuple. C’est le sens du mouvement qui se dessine pour la convocation d’une assemblée constituante. Le débat autour de cette question s’enrichit et tout vient sur la table, en une sorte d’effervescence dont on ne peut que souhaiter qu’elle gagne encore d’autres couches de la population. En effet, il ne peut s’agir de combinaisons politiques des partis qui se sont partagé le pouvoir depuis des décennies. Ce vaste mouvement ne peut qu’avoir un caractère révolutionnaire, dans le sens où ce sont les bases mêmes d’un système perverti qui doivent être bouleversées. C’est ainsi qu’un professeur de droit constitutionnel a pu rappeler que « la convocation de l’Assemblée constituante, c’est un acte révolutionnaire ». Le contraire serait l’application du vieux principe : « on prend les mêmes et on recommence ». La convocation d’une assemblée constituante souveraine, c’est en fait l’intervention du peuple sur la scène politique. Comme pour le référendum contre le Traité européen en 2005. Comme, sur la scène sociale, pour l’insurrection contre la Contrat Première Embauche (CPE), qui, un an plus tard, a défait une loi formellement votée.

Diverses associations et partis défendent désormais la perspective de la constituante. Plus nombreux ils seront, mieux cela vaudra car, qui dit constituante, dit que la constitution à venir ne peut être écrite par personne à l’avance, qu’elle sera le fruit de débats sérieux et fondamentaux. Il est alors logique que les individus, regroupés ou non en partis, aient leurs propres idées sur la question et cherchent à les faire partager. Il est alors logique que partout, dans la presse, ou sur l’internet, les avis, propositions, protestations, doléances, projets et initiatives se confrontent, à l’image du débat grâce auquel le peuple a fait entendre sa voix un certain 29 mai 2005.