Halte au coup d'État en Alsace

Halte au coup d’État en Alsace

Jeudi 7 mars 2013, par Jean-Pierre Alliot

Le référendum prévu le 7 avril en Alsace est loin d’être un petit évènement. Il propose la remise en cause des fondements mêmes de la République L’article de Jean-Pierre Alliot ci-dessous ouvre le débat.

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Des politiciens veulent, par référendum, abandonner progressivement l’Alsace à un sort de province en concurrence

Seize mois suffiront-ils pour faire des départements du Haut-Rhin et du Bas-Rhin une province d’une République plurielle et divisible ? Le 7 avril prochain, la question sera posée par référendum aux citoyens qui y résident : « Approuvez-vous le projet de création d’une Collectivité Territoriale d’Alsace, par fusion du Conseil régional d’Alsace, du Conseil général du Bas-Rhin et du Conseil général du Haut-Rhin ? ».

Le coup est parti le 1er décembre 2011, lorsqu’un « congrès d’Alsace » s’est prononcé pour la création d’un « conseil d’Alsace » unique formant une « région résolument rhénane ». Une sorte de coup de force consenti. Les deux départements, dont le modèle a été inventé dans le tourbillon de la Révolution française pour mettre fin aux assises territoriales des féodalités, ont embrassé avec ferveur cette servitude volontaire. Du moins leurs élus, et avec l’appui des autorités censément chargées de garantir l’unité et l’indivisibilité de la République.

En février, Philippe Richert, le président du Conseil régional s’est affirmé sûr de son fait : « Paris nous laisse plutôt faire. À nous d’y aller ». Il est certain d’obtenir le vote par le Parlement d’une loi applicable après les prochaines élections territoriales de 2015.

Ainsi la « Province d’Alsace », née dans la suite du traité de Westphalie de 1648, risque-t-elle de revoir le jour. Faut-il rappeler que, le 21 juillet 1789, en apprenant la prise de la Bastille, le peuple strasbourgeois s’est soulevé et a saccagé l’hôtel de ville ? Que les châteaux et les abbayes alentour ont été pris d’assaut par les paysans, par exemple dans le Sundgau ? Que la fête de la Fédération du Rhin a rassemblé à Strasbourg, le 13 juin 1790, cinquante mille citoyens, Alsaciens, Lorrains, Francs-Comtois ? Que la Constituante a supprimé les institutions de l’Ancien Régime et que les départements du Haut-Rhin et du Bas-Rhin ont alors remplacé la province d’Alsace ?
Pour les nouveaux barons, cela a trop duré. Les documents publiés par le conseil Régional d’Alsace pour le référendum explicitent la question, innocente en apparence, qui sera posée le 7 avril. « Le Conseil d’Alsace est une collectivité nouvelle qui rassemble les compétences du Conseil Régional et des deux Conseils généraux, à laquelle sont ajoutées les compétences transférées, et qui délègue la gestion opérationnelle de certaines compétences à des “Conseils territoriaux” composés à l’échelle de chaque Département, mais qui ne sont pas dotés d’une personnalité juridique morale distincte de la collectivité unique. » Fin du département tel que la République l’a défini.

Place à un exécutif qui centralise les pouvoirs : « En définissant la stratégie, il [le Conseil d’Alsace, NDLR] élabore les lignes directrices des politiques et des plans d’action, passe des conventions et délègue l’action, avec des moyens d’agir, aux acteurs pertinents et dans le respect de la subsidiarité. Il appuie et prend appui sur les territoires de l’Alsace, qui seront les niveaux opérationnels de l’action locale et les échelons des partenariats locaux avec les communes et EPCI [Établissements Publics de Coopération Intercommunale, NDLR], les associations, les acteurs économiques,... et au plus près des habitants ». Pour être encore plus précis, les promoteurs de la province d’Alsace, toujours dans les explications publiées par le Conseil régional, ajoutent que les « Conseils de Territoires […] n’ont pas la personnalité juridique » mais « sont l’émanation du Conseil d’Alsace ».

Les communes, qui ne sont guère évoquées dans la propagande du Conseil régional, se voient donc mises dans le même sac que les EPCI, les associations, les acteurs économiques, sous l’ombre inquiétante des Conseils de territoires, filiales d’un Conseil d’Alsace conçu comme une véritable holding.

C’est que le référendum du 7 avril accompagne un vaste mouvement de dislocation de la République, où la « concurrence libre et non faussée » s’applique désormais aux territoires. Ils sont appelés à faire leurs petites affaires, chacun dans son coin en prenant prétexte de dysfonctionnements administratifs, qui ne sont d’ailleurs que le résultat de la faillite politique des gouvernements successifs du pays. Le résultat, ce sont « les provinces mises à prix dans l’odeur solennelle des roses », selon l’expression de Saint-John Perse. Prophétie poétique pompeuse, certes, mais si justement funèbre.

Jean-Pierre Alliot