La Constituante et la Présidentielle

La Constituante et la Présidentielle

Vendredi 2 mars 2012, par Association pour une Constituante

Ci-dessous un article de Anne-Cécile Robert, Vice-Présidente de l’Association pour une Constituante, qui ouvre des perspectives de débat en cette période électorale.

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En quelques années, l’évidence d’une crise profonde de la démocratie s’est imposée dans les esprits, puis dans le mouvement social, et aujourd’hui dans le débat politique. De la violation du vote des Français, émis le 29 mai 2005 sur le traité constitutionnel européen au passage en force de la « réforme » des retraites, les institutions comme la vie politique révèlent toute leur dérive liberticide.

Facteur aggravant, la Gauche semble elle aussi incapable d’affronter le problème. Pire, elle s’englue dans des stratégies politiciennes aussi opaques qu’inefficaces. Ainsi, la recherche, lors de la présidentielle de 2007, d’un candidat du « non de gauche » a réussi la prouesse d’émietter les très nets 55% exprimés le 29 mai et de créer un candidat à 2%. Ce résultat doit peu au hasard et tout à la logique de nos institutions qui, très personnalisantes, ne sont pas en mesure de traduire un mouvement collectif. Une chance historique a sans doute été manquée à ce moment car la nature profonde du 29-Mai était, au-delà du clivage droite/gauche, de révéler l’incurie du système politique et la crise de la représentation démocratique. L’affirmation de revendications d’intérêt général aurait été plus appropriée que la précipitation à participer aux jeux pipés de la Ve République : dissolution de l’Assemblée nationale, démission du Chef de l’Etat et surtout appel à l’élection d’une Assemblée Constituante au suffrage universel.

La même erreur d’analyse qu’en 2007 affecte ceux des candidats à la présidentielle de 2012 qui revendiquent l’élection d’une Assemblée constituante. Rien n’est en effet plus contradictoire que de participer à un jeu que l’on prétend renverser. Le risque paraît en outre très grand de soumettre la réaffirmation de la souveraineté populaire aux aléas des négociations d’entre deux tours. Tant les institutions que le jeu des partis politiques qu’elles génèrent empêchent l’expression réelle de la souveraineté populaire.

Si la conscience de la dégénérescence de la démocratie constitue toujours un progrès, la détermination des solutions à lui apporter se présente souvent de manière délicate. De toute part, fleurissent les propositions pour revivifier, voire refonder notre République : instauration d’une VIe République, remise en cause du bipartisme, etc.
Ces solutions ne sont pas équivalentes à l’objectif d’une Assemblée constituante. En effet, la destruction de la démocratie n’est pas un problème strictement « institutionnel » auquel il suffirait de donner des solutions techniques (changement de procédure, répartition des pouvoirs, modes de scrutins, etc.). Il s’agit d’un problème éminemment politique, voire philosophique, puisqu’il met en jeu les racines de nos libertés elles-mêmes. C’est la place que la société réserve à l’être humain qui est en cause en même temps que la capacité qu’il détient intrinsèquement, selon les Lumières, de construire et maîtriser son destin, de rendre chaque jour un peu plus concrets les principes de liberté, d’égalité et de fraternité. La dimension culturelle de la démocratie n’a jamais été aussi perceptible que dans nos sociétés ultra technicisées où les nouvelles technologies de la communication remodèlent les rapports sociaux, pratiquement à notre insu.

Toute initiative qui ne prendrait pas en compte ces dimensions de la décomposition de nos libertés manquerait son objectif.

Des révoltes/révolutions arabes au martyr du peuple grec, des mouvements populaires en Amérique latine à la mise en coupe réglée des sociétés européennes par un ultralibéralisme psychopathe avalisé par des élections apparemment « démocratiques », une seule question émerge : la souveraineté populaire est-elle toujours le principe actif de l’exercice de nos libertés ? La réponse est évidemment non : la légitimation des pouvoirs publics par le suffrage universel n’est plus qu’une théorie sans mises en œuvre pratiques. L’usurpation du pouvoir par une Union européenne qui reconnaît elle-même son « déficit démocratique », la généralisation d’un parlementarisme dit « rationalisé » qui s’efface devant des exécutifs d’ailleurs réduits à un rôle de gouvernail sans pilote, la cooptation d’une classe politique enfermée dans un monde irréel, etc. transforment la démocratie en un théâtre d’ombres. En outre, la pression exercée en permanence sur la conscience des électeurs oblitère l’expression libre de leur volonté : sondages, médias, expertocratie, terreur sociale engendrée par le chômage et la destruction des droits sociaux…

Le retour à la souveraineté populaire ne saurait se faire par le biais d’une VIe République négociée dans quelque cénacle et octroyée d’en haut, ni par l’élection d’un homme ou d’une femme « providentiel » qui, par sa seule volonté, débloquerait tout comme par magie.

Seul le peuple peut reprendre ce qu’on lui a volé. C’est pourquoi l’élection d’une Assemblée constituante au suffrage universel se révèle le meilleur outil de la reconquête de sa liberté. Le processus électoral qui y conduit constitue en effet en lui-même un exercice de souveraineté et de repolitisation sur des bases intellectuelles et philosophiques, et non sur des enjeux personnels ou partisans.

Cependant, la reconquête de sa souveraineté par le peuple français se trouve confrontée à deux écueils : d’un côté, le Front national propose une solution xénophobe et raciste qui fait de l’étranger la cause de tous les maux. Inacceptable, cette solution est en outre impraticable ; de l’autre côté, la solution par la refondation de la gauche n’est pas plus réaliste et cohérente. Elle s’appuie d’abord sur une incohérence : le pouvoir collectif du peuple ne saurait dépendre de l’élection d’une seule personne dans le cadre d’un système par ailleurs dénoncé par cette personne. De plus, cette voie fait de la souveraineté populaire un objectif « minoritaire ». La refondation de la démocratie (qu’on appelle en France la République) concerne aussi bien une certaine gauche qu’une certaine droite sauf à rendre incompréhensible la lutte commune des Gaullistes et des communistes dans la résistance.

Il est probable que la refondation de la démocratie entraînera logiquement la refondation de la gauche (de la droite aussi d’ailleurs) : les choses se feront d’ailleurs probablement dans un même mouvement en limitant au passage les effets de personnalisation typique de l’acceptation des règles du jeu institutionnel. La refondation de la gauche, question évidemment essentielle, ne saurait donc devenir un dérivatif à l’objectif fondamental : la réaffirmation de la démocratie, c’est-à-dire le rétablissement de la souveraineté populaire, bien commun à tous les citoyens.