L'exigence laïque fondamentale, c'est l'égalité des droits dans la richesse des différences. Ce n'est pas l'égalité des différences dans la diversité des droits.

L’exigence laïque fondamentale, c’est l’égalité des droits dans la richesse des différences. Ce n’est pas l’égalité des différences dans la diversité des droits.

Lundi 4 avril 2011, par Association pour une Constituante

A l’occasion du débat initié par le Président de la république sur la question “Islam et laïcité”, nous publions ci-dessous un texte de Guy Georges, membre de l’Association pour une Constituante, ancien Secrétaire général du Syndicat national des instituteurs.

Ce que masque un “débat” piégé


On serait bien naïf de penser que le parti politique au pouvoir n’a pas un objectif bien précis quand il entend traiter de la laïcité et l’islam.

Certes, cet intitulé est ambigu. Laïcité par rapport à l’islam ? Des voix, surprenantes pour certaines, se sont fait entendre, avançant que la présence en France d’une population pratiquant cette religion obligeait à "revisiter" la laïcité..D’"ouverte" à "positive", chacun de ces bons apôtres y est allé de son épithète... Islam par rapport à la laïcité ? Il appartient, me semble-t-il, aux pratiquants de cette religion de chercher et trouver les moyens de vivre dans la Nation selon les règles que ses lois ont fixées.

En posant cette alternative, on comprend qu’est en jeu la loi de séparation des Églises et de l’état du 9 décembre 1905.

Concédons ce mérite à ceux qui nous gouvernent d’avoir "annoncé la couleur".

Et d’abord au premier d’entre eux. Quand il était ministre de l’Intérieur, M. Sarkozy a consacré un chapitre de son livre « La République, les religions, l’espérance » à la loi de 1905. Pour exprimer en particulier ceci : « Doit-on considérer ce qui a été rédigé il y a un siècle comme coulé dans le marbre et ne devant jamais changer ? Je ne le crois pas…Il reste notamment une question à régler qui n’est pas conjoncturelle, celle du financement des grandes religions de France ». Simultanément, ce même ministre installe une commission « de réflexion juridique sur les relations des cultes avec les pouvoirs publics » que préside un haut fonctionnaire, le professeur Machelon. Celui-ci remet son rapport en septembre 2006. L’objectif est clair. Il s’agit essentiellement de lever de possibles obstacles juridiques à la modification de l’article 2 de la loi du 9 décembre 1905. En 2008, la ministre de l’Intérieur, Mme Alliot-Marie répond à un député lui demandant sous forme de question écrite de lui « préciser l’étendue des aménagements à la règle de l’article 2 de la loi de 1905 », qu’un groupe de travail technique est chargé de « donner des suites concrètes aux conclusions de la commission ».

Il y a gros à parier que le but inavoué de l’UMP est de forcer les feux avant 2012.

L’enjeu est de taille. Il faut rappeler le texte et le sens des deux premiers articles de la loi qui en constituent le socle, la « clef de voûte » de la laïcité de l’Etat selon l’expression utilisée par la Cour Européenne des Droits de l’Homme en décembre 2009.

Article 1 : La République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes, sous réserve du maintien de l’ordre public.

On est, en France, libre de croire ou de ne pas croire et on est libre de pratiquer un culte. Ainsi, la laïcité n’est pas antireligieuse, contrairement à la contrevérité véhiculée depuis plus d’un siècle. Et la loi s’applique à toute religion d’hier, d’aujourd’hui et de demain.

L’article 2 est la conséquence de cette double liberté. Elle en déduit une indépendance réciproque de l’État et des Églises : Article 2 : l’État ne reconnaît ne salarie ni ne subventionne aucun culte. Cette disposition est aujourd’hui menacée. Ce que le Pouvoir actuel veut, c’est que l’État reconnaisse et subventionne tous les cultes. L’exigence laïque fondamentale est en péril. Car se heurtent deux conceptions irréductibles de la vie commune, l’une, celle du « « parti clérical », l’alliance du conservatisme politique et du pouvoir religieux, comme la définissait pertinemment Victor Hugo, l’autre , l’ambition progressiste, qui n’est possible que par l’indépendance réciproque du pouvoir politique et du/des pouvoirs religieux. Autre constante, le rôle précurseur que joue l’organisation scolaire. L’orientation donnée à l’organisation de l’enseignement a toujours précédé le mouvement plus large de la société vers le progrès ou vers la régression. Quand Victor Hugo interpelle le parti clérical qui va, par la loi Falloux, mettre sous sa coupe l’enseignement de la jeunesse « Je veux ce que voulaient nos pères, l’État chez lui et l’Église chez elle », il évoque le premier texte constitutionnel, la Constitution de l’an III ( 22 août 1795) dont l’article 354 actait déjà la séparation des deux entités : « Nul ne peut être empêché en se conformant aux lois de pratiquer le culte qu’il a choisi. Nul ne peut être forcé de contribuer aux dépenses d’un culte. La République n’en salarie aucun ».

Tout au long du siècle, le général Bonaparte, la Royauté restaurée, l’Empire remettent l’État et la société sous la coupe du « parti clérical ».

La loi du 9 décembre 1905, qui reprend au mot près le texte de 1795 est l’aboutissement de la reconquête, et couronne le train de libertés que la jeune Troisième République instaure, liberté de la presse(1881), liberté retrouvée de l’enseignement séparé de la férule religieuse (1882), liberté d’association (1901).

L’Église catholique n’a jamais accepté les deux premiers articles de la loi, contrairement à ce qu’on prétend parfois. Le changement d’attitude du Vatican en 1924 portait sur des accommodements matériels négociables. Mais la déclaration des Cardinaux de France, en mars 1925, ne laisse aucun doute ; elle se donne « le droit et le devoir de les (les lois de laïcité) combattre ». L’Église Catholique ne transigera jamais sur son refus de la séparation qui la relègue dans l’espace privé. Elle revendique sa place dans la « sphère publique ». Elle l’a aujourd’hui patiemment reconquise comme s’en réjouissait le Pape Benoît XVI après l’adoption du traité de Lisbonne par l’Union Européenne : enfin « les droits institutionnels de l’Église sont reconnus ».

Que le parti clérical –il existe toujours- l’ait constamment soutenue ne peut surprendre. L’attitude de M. Sarkozy est conforme à celle du parti clérical du XIXème siècle quand il écrit en 2004 « La place de la religion dans ce début du troisième millénaire est centrale. Mais je veux préciser que ce n’est pas une place à l’extérieur de la République ; ce n’est pas une place concurrente de la République ; c’est une place dans la République ». Conformité aussi dans son comportement, ses déclarations à Rome ou ailleurs.

La différence, de taille, c’est que le Vatican n’est plus seul, comme il le fut jadis, à prétendre guider les consciences ; et nos concitoyens se sont largement affranchis de cette prétention. Il n’empêche…Le parti clérical a su profiter des vents favorables. Est apparu un droit singulier, le « droit à la différence ». On n’était plus seulement différent de ses congénères ; on avait le droit de l’être, donc de s’organiser, en conséquence, sur le fondement de ses particularités. Il était urgent de reconnaître des communautés nouvelles et de leur faire une place équitable. A côté de la Conférence des Évêques de France, du CRIF, le ministre de l’Intérieur de 2004 impulsait la création de l’UOIF (union des organisations islamiques de France) mouvement radical à côté de la modérée mosquée de Paris.

On n’a guère prêté attention au rapport de la Commission Stasi qui définissait ainsi la laïcité : « trois valeurs indissociables, liberté de conscience, égalité en droit des options spirituelles et religieuses, neutralité du pouvoir politique ».

Il faut rapprocher cette paraphrase des valeurs universelles de la laïcité telles que la loi de 1905 les a inscrites : liberté de conscience, certes ; égalité de tous les citoyens devant la loi commune découlant de l’indépendance de l’État ( et non sa neutralité) ; et paix civile, fraternité, qui en est le fruit.

La Constitution de la République est fondée sur ces principes « coulés dans le marbre de la loi ». Elle les proclame dans son article 1er : « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion ».

Que faut-il comprendre, quand M. Stasi déduit de sa définition qu’il faut laisser « place à une laïcité apaisée , reconnaissant l’importance des options religieuses et spirituelles, attentive également à délimiter l’espace public partagé » ? (Quelle lumineuse définition du communautarisme !) Quand le ministre Sarkozy écrit que la place des religions est « dans la République » et qu’il ajoute que « les responsables publics doivent s’assurer que l’ensemble des religions peuvent vivre dans la République en complète égalité » ?

Il faut comprendre que la République assure non plus l’égalité de tous les citoyens devant la loi, mais l’égalité des communautés, notamment religieuses.

Quel était le but de la tentative de redéfinir l’identité nationale ? Sinon de parfaire la démarche communautariste. Il suffit de relire le discours du Chef de l’État, sur le plateau des Glières, qui ouvrait cette initiative en novembre 2009…La Nation serait constituée de citoyens de première catégorie, « aux racines chrétiennes ». Et il y aurait des deuxièmes catégories qui seraient admises si elles voulaient bien adapter leurs traditions au moule.

A l’évidence, le débat initié aujourd’hui s’inscrit dans cette démarche et ses intentions ne peuvent être que suspectes.

Le particulier s’oppose à l’universel. L’alternative est posée de façon pressante.

Est-ce aux particularismes qu’il appartient de s’organiser en fonction de l’organisation générale de la cité, fixée par la communauté des citoyens qui forment la Nation ?

Ou bien l’État doit-il s’organiser en fonction des particularismes des diverses communautés qui compose la société dont il a la charge ? L’exigence laïque fondamentale, c’est l’égalité des droits dans la richesse des différences. Ce n’est pas l’égalité des différences dans la diversité des droits.

La réponse aujourd’hui est entendue. Les responsables actuels de l’État se plient aux exigences des particularismes ; ils les encouragent.

Un porte-parole de la pensée musulmane déclarait récemment que la France connaît un contentieux avec le religieux. Cette France-là peut-être, à laquelle ces responsables confectionnent un habit d’arlequin de tous les risques… Mais pas la France laïque dont l’acte fondateur fut et demeure la loi de séparation des Églises et de l’État du 9 décembre 1905.