Que renaisse en 2016 l'utopie du progrès social !

Que renaisse en 2016 l’utopie du progrès social !

Dimanche 8 mai 2016, par Edmond Harle, Tribune libre

J’ai fait un rêve :

Que renaisse en 2016 l’utopie du progrès social !

Il y a 50 ans, à 13 ans, je rêvais d’un monde libre, juste et fraternel. Je chantais « Quand on verra à Washington, sans que personne ne s’étonne, un président à la peu noire habiter à la Maison Blanche … Et les habitants de Berlin pourront chanter comme naguère, et sur les ruines d’un vieux mur on servira des pots de bière. Qu’il vienne ce jour là, qu’il se lève sur la terre ce matin là ! ».

Ce jour s’est levé !

Le mur de Berlin est tombé. J’ai rêvé d’une Europe de l’Atlantique à l’Oural, modèle d’humanisme, de liberté et de justice sociale.

Un président à la peau noire habite à la Maison blanche depuis 7 ans. Un deuxième rêve de ma jeunesse, nourrit par Martin Luther King, Jean XXIII et Bob Kennedy a été réalisé.

Hélas, 25 ans après la chute du mur, la vie est plus dure qu’avant pour des millions d’européens de l’Est tant le capitalisme sauvage, qui y sévit, est tout aussi matérialiste et inhumain que le communisme et encore plus injuste. Avec un président noir, les USA restent une puissance impérialiste au service des multinationales américaines et un agent d’exploitation des ressources des autres peuples. Comme hier, en Europe, le gouvernement américain tente d’imposer l’OTAN pour couper l’Europe de la Russie et pouvoir ainsi assurer sa suprématie sur notre continent. Les USA, depuis Reagan, nous entraînent dans cette erreur historique de l’engrenage mortifère de la mondialisation libérale et de la régression sociale.

L’Europe n’est plus un rêve mais un cauchemar pour des millions d’Européens à qui les eurocrates imposent la régression sociale, la misère et la soumission, comme on le voit en Grèce, au mépris des valeurs humanistes, sociales et démocratiques.

Soumis à Bruxelles et volontairement asservis à la finance mondialisée, les gouvernants français détruisent le tissu social et familial, avec le travail du dimanche comme symbole, pour augmenter encore les profits. Il enterre l’œuvre historique des sociaux chrétiens, des syndicats, du Front Populaire, de de Gaulle et de la Résistance pour livrer les français aux lois barbares du marché.

Depuis la crise financière de 2008, des milliards ont été donnés aux milliardaires pour leur éviter de perdre une part de ce qu’ils ont gagné de façon scandaleuse sur la misère des masses et la régression sociale. Mais il n’y a pas d’argent pour payer des salaires dignes, conforter nos écoles et nos enseignants, soigner nos malades, garantir un minimum vital, la Sécurité Sociale et la retraite décente pour tous, permettre le développement social de l’Afrique et du monde… L’Europe n’est plus celle des Lumières, elle est un colosse sans boussole qui s’autodétruit, en reniant son histoire et ses valeurs.

Un président à la peau noir n’a rien changé à la dure réalité. La chute du communisme n’a pas été suivie d’un monde plus juste et plus libre mais de la loi de la jungle imposée aux peuples par les capitalistes. Constatant l’absence de modèle alternatif, débarrassés de la peur du communisme, les capitalistes reprennent, jour après jour, avec la complicité des pouvoirs politiques, les concessions qu’ils avaient dû faire. Les inégalités dans le monde, qui n’avaient cessées de se réduire de 1935 à 1985, ont dépassé en 2014 le record des années 1920. On sait pourtant que ces inégalités avaient provoqué la crise financière, économique, sociale et politique de 1929 qui enfanta le fascisme et le nazisme. On sait aussi que si la France échappa aux ligues fascistes ce fut grâce aux progrès sociaux du Front Populaire et de la lutte syndicale.

Aujourd’hui l’Europe est à la croisée des chemins. L’espoir né en Grèce en 2015 de réinventer la démocratie, comme il y a plus de 2 millénaires, a été écrasé par le rouleau compresseur de l’Union Européenne. Face à la domination des financiers et de leur idéologie gestionnaire (masquée sous les vocables du pragmatisme ou de l’expertise) et à la soumission des gouvernements de tous bords, seul un sursaut des peuples peut permettre d’imaginer et de construire une Europe digne de ce qu’ont fait nos parents et qui serait lumière pour le monde. Ils ont besoin de philosophes, de sociologues, de politiciens, de syndicalistes, de citoyens pour relever ce défi.

De la France de 2015, l’histoire retiendra, je pense, trois ruptures majeures qui sont étroitement liées les unes aux autres.

La première est la rupture définitive de toute la classe dirigeante française avec l’idéal du progrès social. Les socialistes en organisant la destruction du pacte social ont privé le peuple d’un espoir d’améliorer ses conditions de vie par le suffrage universel et l’exercice de la démocratie représentative. Se faisant, le président de la République a trahit à la fois l’histoire de la République, l’histoire de la gauche et l’histoire de la France et de l’Europe.

La deuxième rupture est la rupture du contrat social français. Nourrit par le progrès social, la démocratie s’était consolidée dans le monde occidental, devenant un espoir pour tous les peuples qui y voyaient le moyen de vivre libre dans un monde où les besoins de chacun sont satisfaits. Il y avait toujours des conditions de vie très difficiles, des conditions de travail trop pénibles et injustes, mais chacun espérait vivre mieux demain et chacun pensait que ses enfants, grâce au progrès social, vivraient mieux que lui. Aujourd’hui, avec la régression sociale, dont fait partie le chômage (voulu et entretenu par la régression sociale), les citoyens craignent que demain soit pire qu’aujourd’hui et constatent que la vie de leurs enfants et petits enfants est plus difficile que la leur. Dans nos cités, les jeunes sans espoir social perdent tout repère. Les populations des cités se replient dans une économie parallèle ou (et) dans un islamisme, rarement violent mais souvent identitaire, qui les distinguent d’une société qui les exclut du festin. D’autres français, encouragés par la technique du bouc émissaire, cherchent dans les « autres », les « différents », la cause de leurs difficultés qui découlent du système économique pervers et du renoncement politique. D’autres enfin, ayant perdu toute confiance dans l’action collective, ne votent plus, ne participent plus à la vie politique et se replient dans un individualisme suicidaire de lutte des places à défaut de lutte des classes.

La troisième rupture découle aussi de l’incapacité du système économique mondial à répondre aux aspirations des peuples. Cette rupture est universelle. Les peuples ne croient plus au modèle démocratique occidental comme moyen de résoudre les inégalités sociales et d’obtenir plus de justice sociale. Le printemps arabe est né en Tunisie d’une volonté de plus de liberté mais aussi de plus de justice sociale, de travail pour tous, de progrès social. Partout les nouveaux régimes ont échoué à répondre à cette aspiration, condamnés par l’engrenage de la mondialisation libérale. La jeunesse mondiale ne peut pourtant pas vivre sans espérance de lendemains meilleurs. Mon père, fils de la misère ouvrière et de l’assistance publique, me disait souvent : « Si je n’avais pas eu l’espoir de la justice et du bonheur que me donnait le communisme, je serais devenu délinquant. Après la déception du communisme avec le pacte germano-soviétique, si je n’avais pas découvert la foi dans le progrès social dans la résistance, je serais devenu révolté. » L’Islamisme radical se nourrit de cette désespérance sociale, de l’absence d’utopie et du besoin de dignité, de reconnaissance et de respect de tout être humain pour embrigader des jeunes du monde entier dans le combat de l’islamisme violent comme hier Hitler embrigada les allemands dans l’horreur nazie. Aujourd’hui, l’embrigadement est mondialisé, comme la communication.

En réponse à cette crise sociale, politique et morale du monde, nos dirigeants politiques ne proposent comme solution que la poursuite des mesures de régression sociale qui sont la cause du chômage et de la crise économique, sociale, politique et morale. Ils tuent l’espoir en Europe. Ils assassinent l’espérance des peuples du monde qui avaient vu, dans le modèle européen de la deuxième moitié du XXème siècle, une espérance pour leur pays.

Pourtant la politique demeure le seul moyen de construire un nouveau contra t social pour tous les citoyens de France, d’Europe et du monde. Comment redonner aux citoyens la confiance dans l’engagement politique ?

Confrontés à cette situation, les syndicats ne trouvent plus de moyens de changer le cours des choses. Les uns deviennent complices de la régression sociale au motif de la limiter, de trouver quelques maigres contreparties. Les autres tentent de l’affronter. Ils s’opposent, se combattent et tous échouent à enrayer cette régression sociale. Pourtant, le syndicalisme demeure l’avenir du salariat car l’individualisme ne peut pas construire le progrès social. Mais la convergence syndicale est le seul avenir du syndicalisme et les syndicats semblent incapables de le comprendre. Ils laissent ainsi agir impunément les semeurs de désespérance sociale.

Un nouveau contrat social, fondé sur un progrès social adapté au monde de la communication universelle instantanée, ne peut pas se construire sans un éclairage des intellectuels. Or, ici aussi il y a une absence de réponse aux besoins des peuples. Certes, des philosophes pensent et écrivent, des sociologues analysent, des économistes décortiquent et proposent, mais sans un ensemble cohérent et diffusé capable de faire naître une nouvelle utopie collective. L’histoire de l’humanité est marquée tout autant par les moyens de communications que par les modes de production. A chaque grande révolution de la communication a correspondu un foisonnement philosophique dans un temps adapté au rythme du changement. L’écriture a été accompagnée par les philosophes grecs. L’imprimerie par la Renaissance, les philosophes français du XVIIIème siècle et les socialistes. Avec internet tout s’est accéléré sauf un mouvement de pensé, philosophique, sociologique ou économique, pour ouvrir des perspectives de construction d’un monde plus juste, plus solidaire et plus fraternel dans une société mondialisée. Résultat, face aux informations reçues, face à l’exposition de chacun aux injustices du monde, face à l’arrogance de la minorité de milliardaires qui dirigent le monde, les peuples cherchent la protection dans le repliement sur le passé et le communautarisme, le cloisonnement et l’opposition presque tribale. Les citoyens sont privés de toute utopie collective et faute de lumière, certains cherchent le chemin d’avenir dans les ténèbres de l’obscurantisme, des fanatismes et de la haine de l’autre.

Face à ce constat inquiétant, il reste une lumière dans les ténèbres, l’espérance d’un avenir commun, plus juste et plus fraternel qui demeure dans le cœur de chaque être humain. Cette lumière ne peut pas s’éteindre. Puisse chacun penser, proposer, agir, pour que ces petites lumières se réunissent pour rallumer le flambeau de l’espérance du progrès social pour tous et offrir à la jeunesse une utopie, une possibilité d’engagement individuel et collectif et un combat pacifique pour un monde meilleur.

L’année 2016 marque, en France, les 70 ans de la mise en œuvre effective d’une partie du programme socialement révolutionnaire, du Conseil National de la Résistance avec notamment la Sécurité Sociale et les Comités d’entreprise. Puissent les syndicats, comme la CGT et la CFTC dans ce Conseil, dépasser leurs différences pour agir ensemble pour le progrès social. Puissent, les syndicalistes, les intellectuels, les acteurs politiques qui ont encore un idéal à moyen et long terme, se concerter, se réunir, proposer et agir ensemble, pour que chacun retrouve l’espoir que demain sera meilleur qu’aujourd’hui. Sinon, le chômage, la misère, la désespérance sociale progresseront encore avec les rejets de l’autre, les replis communautaires et la haine. Comme dans les années 1930, la démocratie sera menacée par des propositions politiques dont le but est de détruire le besoin de fraternité et l’humanité qui existent en chacun et de semer la domination de la haine. Puisse chacun de nous reprendre confiance dans notre capacité collective à construire notre destin et celui de l’humanité et agir, là où il le peut, pour faire renaitre l’espérance du progrès social.

2016 sera une bonne année pour tous si nous voulons en faire l’année du renouveau du progrès social et du combat idéologique et médiatique pour le promouvoir.

Bonne et heureuse année 2016