Réagir devient une nécessité

Réagir devient une nécessité

Lundi 30 novembre 2015, par Frédéric Viale, Tribune libre

Notre ami Frédéric Viale, Auteur du Manifeste contre les Traités transatlantiques, ed. Erick Bonnier, dresse, dans le texte ci-dessous, l’état désastreux de la République et de la démocratie.

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Réagir devient une nécessité


L’état d’urgence, la volonté gouvernementale de le prolonger, son utilisation pour réprimer non le terrorisme mais les militants associatifs, la France qui signifie au Conseil de l’Europe qu’elle entend déroger aux règles de la Convention européenne de sauvegarde des droits humains, tout cela marque que l’état de police se substitue à l’état de droit.

Si la République a glissé dans un état de police à la faveur de lois de circonstance prises sous le coup de l’émotion, la responsabilité en incombe évidemment, et en premier lieu, aux décideurs politiques principaux que sont le Président de la République et le Premier ministre. Mais il serait erroné de penser que cette déréliction de la démocratie est récente : elle est au contraire une réalité qui s’inscrit dans la durée, dans le marbre des traités internationaux et des textes constitutionnels.

Car le fait que nous ne vivons pas en démocratie n’est pas nouveau. Celle-ci est confisquée à la fois par les institutions européennes et nationales, mais aussi de plus en plus par les traités internationaux. La situation actuelle n’est qu’une étape dans une longue descente qui ne sera pas arrêtée facilement, et qui, pour le moins nécessitera des mobilisations et des combats politiques vigoureux. Néanmoins, la situation actuelle est logique. Elle montre que les citoyens et les citoyennes doivent comprendre qu’on ne saurait dissocier les problèmes qui touchent non seulement au respect des droits fondamentaux mais aussi aux droits sociaux, économiques, et finalement, aux droits individuels et collectifs actuellement lourdement attaqués.

Le blocage démocratique que nous connaissons est double : européen mais aussi (et surtout) national.

Blocage européen : l’imposition du mémorundum d’austérité à la Grèce ce 13 juillet 2015 aura marqué les esprits. Les institutions de l’Union européenne sont apparues pour ce qu’elles sont, une machine à punir les peuples, anti-démocratique et austéritaire. L’écrasement de la possibilité d’une alternative réelle après la victoire de Syriza, la négation des résultats électoraux, l’interdiction faite aux vainqueurs du scrutin de rompre avec la doxa libérale le prouvent : l’UE est un instrument politique de spoliation de la souveraineté des peuples et donc de négation de la démocratie. Cette réalité n’est aujourd’hui plus contestable par personne. C’était déjà évident en 2007. Cette année-là, le traité de Lisbonne ratifié sans consultation des peuples a permis de contourner le rejet deux ans plus tôt du traité constitutionnel européen par les citoyens consultés par référendum, comme ce fût le cas en France mais aussi aux Pays-Bas et en Irlande.

Il faut ajouter à cela un élément moins connu : l’Union européenne a mandat de négocier des accords de libre-échange ahurissants qui entendent tout simplement laisser les clefs de la démocratie aux grandes entreprises. L’opinion a focalisé avec raison sur le projet d’accord UE-Etats Unis, mais il en est d’autres, comme celui avec le Canada bien plus avancé. Non seulement ces accords veulent parvenir à ce à quoi l’Organisation Mondiale du Commerce n’était pas parvenue jusqu’ici (le plus haut niveau de libéralisation possible des échanges) mais encore ils entendent mettre en place des mécanismes qui se veulent puissants et qui auraient des conséquences aussi vastes qu’imprévisibles sur les choix politiques, sociaux et environnementaux : le mécanisme de règlement des différends investisseurs-Etat et le mécanisme de coopération réglementaire. Le premier mécanisme reconnaitrait un privilège de juridiction aux entreprises transnationales qui pourraient s’extraire de l’application de la loi commune en faisant appel à l’arbitrage ; le second leur donnerait un droit de veto à un comité d’experts composé de hauts fonctionnaires des deux côtés de l’Atlantique et chargé de demander leur avis aux entreprises chaque fois qu’une réglementation pourrait affecter leur activité dans l’avenir, et ce, bien avant que le moindre débat public puisse avoir une chance de commencer. Privilège, droit de véto : on le voit, ces projets ont peu à voir avec l’harmonisation du commerce annoncée mais tout avec les principes démocratiques. Les négociations se déroulent évidemment dans une belle opacité.

Le système politique dans lequel nous sommes souffre de ce qu’il n’est pas démocratique à l’échelon européen mais également à l’échelon national. Il doit être noté que les abandons successifs de souveraineté à l’UE néolibérale ont été consentis, construits et voulus par des gouvernements nationaux. L’UE a été le vecteur utile de contournement de l’expression citoyenne, des protections sociales et des solidarités nationales. Le cynisme a culminé et culmine toujours lorsque cette démarche a été justifiée au nom d’un idéal généreux de dépassement des égoïsmes nationaux, brouillant tous les repères politiques citoyens.

Sortir de l’UE s’impose donc comme une évidence démocratique, mais cela doit être accompagné par une réflexion profonde sur le fonctionnement démocratique national, et tout particulièrement en France.

Le fonctionnement réel de la Vème République en France est un trou noir pour la démocratie. Ce système essoufflé, qualifié de semi-présidentiel par certains constitutionalistes est un système absolutiste, au sens premier du terme : un homme (ou une femme) providentiel sort du chaudron médiatico-politique tous les cinq ans, devient président et à partir de là, tout dépend de lui (ou d’elle). Un parlement godillot, des partis politiques godillots, une superstructure administrative et technocratique qui fait le travail voulu par les lobbies d’affaires : nous sommes en réalité dans un système qui allie faiblesse, ignorance du peuple, confusion des pouvoirs et collusion permanente. Sont sacrifiées les avancées sociales pourtant obtenues de haute lutte, modèle social minimal pour un vivre ensemble qui ait un sens.

Le gouvernement s’est-il interrogé sur le fait que les terroristes sont des petits français nés et grandis dans nos banlieues ? Le Premier ministre s’est agacé récemment de la question car, pour lui, la poser serait chercher des « excuses » aux « monstres ». Evacuées les conséquences de trente ans d’abandon des territoires à la faveur de politiques toujours plus libérales, de destructions de services publics, de démantèlement de l’Etat. On comprend son agacement : depuis que François Hollande a été élu, les politiques libérales se poursuivent plus que jamais, les inégalités explosent ainsi que le nombre de sans-domicile, et la loi Macron, vieux rêve du Medef, est mise en place qui va aggraver encore davantage les choses et brutaliser la société.

Dans ce contexte, les lois de surveillance généralisée sont nécessaires : comment canaliser la violence qui naîtra forcément des rancœurs ainsi créées ? En surveillant encore plus, en quadrillant davantage le corps social. Pas du tout pour sa protection (on a malheureusement pu juger le 13 novembre de l’inefficacité de ce contrôle général) mais pour limiter ses marges de manœuvre.

Et puisqu’il est question de démocratie, autant faire un panorama complet. La pratique institutionnelle a installé dès le début de l’actuelle Constitution un « domaine réservé », une chasse gardée où ne saurait être admis qu’un seul demi-Dieu, l’Oint du Suffrage universel, le Président de la République. Les dramatiques événements récents enseignent que la politique extérieure n’est pas sans conséquences internes. Ils ont mis d’accent sur le caractère pour le moins chaotique de celle-ci. Que faisons-nous en Syrie, que faisons-nous dans l’OTAN, quelle est notre politique au Proche et Moyen-Orient qui soit compréhensible, est-il absolument nécessaire de faire la danse du ventre aux monarchies pétrolières obscurantistes et corrompues ? Toutes ses questions se posent, mais il est une certitude : ce n’est pas le Parlement qui en décidera, il n’y aura aucun débat, tout au plus quelques vagues déclarations d’un Président qui, comme à son habitude, dira bien ce qu’il veut. Aucune force de rappel, aucun contrôle, seulement un chef de guerre qui ordonne de bombarder là où cela lui semble bon.

Faut-il en rajouter au réquisitoire ? Sans doute, mais une chose est désormais certaine : l’Histoire enseigne que rien n’est donné, jamais, au peuple. Ce qu’il obtient en termes de liberté, de démocratie, il le conquiert. C’est à la reconquête de la souveraineté populaire que nous sommes désormais collectivement requis. Il faut savoir se débarrasser de ce qui ne fonctionne pas, nous débarrasser du carcan que sont l’Union européenne et nos institutions actuelles, et refonder la République pour refonder la démocratie. L’élection d’une Assemblée constituante n’en est ainsi que plus nécessaire.