Grèce : est-il tolérable qu'un pays vote mal ?

Grèce : est-il tolérable qu’un pays vote mal ?

Mardi 14 avril 2015, par Tribune libre, Venios Angelopoulos

Venios Angelopoulos

mathématicien, membre de SYRIZA, nous a envoyé l’article ci-dessous

Grèce : est-il tolérable qu’un pays vote mal ?

Il y a deux mois et demi, les élections ont propulsé au gouvernement une coalition inédite, composée de SYRIZA (gauche radicale) et de ANEL (Grecs Indépendants, droite), qui ont obtenu respectivement 36,4% et 4,8% des suffrages. Ce fut la dernière étape d’une ascension jamais vue auparavant : en effet, SYRIZA avait obtenu 4,5% lors des élections de 2009, 17% et 27% aux élections consécutives de mai et juin 2012 pour arriver en tête cette année. Inversement, les deux partis qui ont gouverné le pays depuis la chute de la dictature en 1974, PASOK (centre-gauche) et Nouvelle Démocratie (ND, droite), qui totalisaient ensemble 80% a 85% des suffrages, se sont effondrés, obtenant respectivement 4,8% et 27,8% des voix.

Ce bouleversement du paysage politique, ainsi que le caractère inédit de la coalition gouvernementale actuelle est le résultat de la crise économique qui, depuis 2010, a placé le pays sous la tutelle de la « troïka » (Fonds Monétaire Internationale, Banque Centrale Européenne et Euro zone). Tutelle qui s’est traduite par la montée du chômage (28% et plus de 50% pour les jeunes), la chute dramatique du pouvoir d’achat et la paupérisation des classes moyennes, le triplement des suicides, le démantèlement de la Sécurité Sociale, l’abolition des conventions collectives ainsi que d’autres avancées sociales, notamment en matière de licenciements.

La raison officielle de cette politique d’austérité sauvage était le surendettement du pays (ou plutôt la menace de faillite de son réseau bancaire). La troïka a prêté de l’argent à la Grèce pour qu’elle renfloue ses banques (sans que l’état en acquière le contrôle, bien sûr) tout en lui imposant une politique d’austérité draconienne, prescrite dans certains accords, les mémorandums. Les effets des mémorandums furent néfastes non seulement sur le plan social, mais aussi sur le plan économique : du fait de la faillite d’un grand nombre de petites et moyennes entreprises, le PNB a chuté de plus de 25%, et l’augmentation de la pression fiscale sur les plus faibles n’a pas donné de résultat. La dette publique a grimpé au lieu de diminuer.

La scène politique a donc été dominée par la position des partis vis-à-vis des mémorandums. Les partis gouvernementaux responsables de la crise, PASOK et ND, ont continué à gérer le pays en appliquant docilement la politique d’austérité et leur audience s’est effondrée. Le gouvernement actuel est formé de deux partis résolument anti-mémorandum. Et il a changé le cap.

La partie n’est pas jouée et elle n’est pas aisée. Les négociation sont dures, le gouvernement affronte une hostilité ouverte, polie (en tant que fraîchement élu) mais implacable. Pour donner un exemple, la BCE gagne de l’argent en achetant des obligations à bas prix et en les revendant au prix nominal à l’état grec (qu’elle est censée renflouer), tout en refusant d’allouer au pays les liquidités convenues. En même temps l’oligarchie grecque se sentant menacée et détenant les principaux medias opère un travail de sape.

Les institutions européennes et internationales tolèrent la démocratie, à condition que le peuple vote bien : l’argent et le pouvoir doivent être concentrées au mains du plus petit nombre d’individus. Malheur aux peuples désobéissants !

Venios Angelopoulos

Athènes, le 13 avril 2015